Les goélands sont-ils mal-aimés ?

Voilà un nouveau Mal-Aimé auquel je ne m’attendais pas ! 

Quand j’ai commencé à m’intéresser aux animaux mal-aimés avec les chauves-souris, j’ai ouvert une boîte de pandore : plus on prête attention au monde qui nous entoure, et plus on découvre que notre écosystème est riche. 

C’est passionnant et alarmant à la fois. C’est pour ça que j’aime tellement ce projet des Mal-Aimés, car il m’aide à comprendre le monde, l’écologie, et même les gens ! Tous les jours, j’ai des messages de parents, de professeur.es, de festivals qui s’intéressent aux films et aux contenus qu’on peut trouver sur le site lesmalaimes.fr. Et si, d’ordinaire, je rencontre des spécialistes  pour raconter l’histoire d’un animal mal-aimé, ici, pour les goélands, c’est Hélène Mazière qui m’a sollicitée. 


Pour moi, les goélands, les mouettes, c’était pareil... Mais ça, c’était avant de commencer à parler avec cette biologiste marine bretonne ! Ce que j’ai appris est tout à fait passionnant. Et encore une fois, on va parler d’un animal qui est juste à nos portes. En tout cas, si vous habitez en bord de mer, ou près d’un fleuve, comme c’est mon cas à Valence ! Car, oui, la mer est à 300 km de chez moi, mais ça n’a pas empêché les goélands de survoler mon jardin en riant pendant les confinements. 

(Ne manquez pas ma formidable imitation de goéland dans l’interview, qui, à elle seule, a permis d’identifier les espèces de mon quartier.) 

L’interview est assez longue, mais elle est sous forme de discussion, j’espère que vous aurez le temps de l’écouter. Il est d’ailleurs tout à fait possible de l’écouter avec les enfants. 


En résumé, ce que j’ai appris au cours de ces échanges : 

Une mouette et un goéland : ça n’est pas pareil ! Et c’est surtout le goéland argenté qui est en danger : il faut savoir le reconnaître. Mais en gros, c’est le coquin qui vient manger les frites dans les cornets des passants, qui se sert dans les poubelles parce que les poubelles, c’est la vie. Il est opportuniste, il mange de tout. 



Mais pourquoi fait-il ça ? Parce que son habitat naturel a été dérangé, qu’il y a profusion de déchets dans les villes, et qu’il y fait bien chaud. 



Est-il en danger ? Oui ! C’est une espèce protégée, il est classé « vulnérable » pour le moment, mais sa situation ne s’améliore pas, loin de là. S’il représente une nuisance pour les citadins, il faut le laisser tranquille dans son milieu naturel et en ville : ne pas le nourrir ! Et ne pas faire s’envoler les oiseaux pour le plaisir (tenir les chiens en laisse). 


On a parlé des rats aussi. Peut-être que ça pourra faire l’objet d’un autre épisode des Mal-Aimés, bien qu’il ne soit pas en voie de disparition (au contraire). Mais c’est bien l’humain qui est derrière sa prolifération. Et surtout, pour les goélands, il mange leurs œufs ! 

Qu’est-ce qu’on peut faire ? 

C’est ça que j’ai particulièrement apprécié dans l’intervention d’Hélène Mazière : on peut faire quelque chose ! Outre ne pas nourrir les goélands et ne pas leur faire peur, on peut participer aux actions de comptage, à la sensibilisation des promeneurs et naviguants, etc. il y a beaucoup de possibilités pour faire partie des gens qui agissent tout en étant au contact de la nature.  

Voici le site de l’association dont fait partie Hélène Mazière

https://www.bretagne-vivante.org/


Mais si vous n’êtes pas en Bretagne, il y a plein d’associations de protection de la biodiversité, dont notre partenaire la LPO ! 

Hélène propose aussi une action toute simple : favoriser l’usage des cendriers portatifs et les offrir aux fumeurs qui ne savent pas qu’un simple mégot jeté par terre finit toujours dans le ventre d’un animal. (en plus de rendre impropre 500 litres d’eau !)


En parlant avec Hélène Mazière, j’ai été étonnée, émerveillée, informée, et maintenant je suis reconnaissante d’avoir appris des choses et de me sentir capable d’agir pour la biodiversité. 


Si vous n’avez  pas le temps de tout lire ou voir, voici un de mes passages préférés : 


« Moi je suis biologiste marin de formation et j’apporte une attention particulière à la médiation scientifique. C’est rendre la science accessible au grand public et les connecter à la nature pour que chacun se sente concerné par ces problématiques et se les approprie pour faire passer le message. » 


Merci d’avoir lu jusque là, et je vous invite à découvrir plus de détails avec la vidéo ou la retranscription ci-dessous ! Merci d’avoir fait la démarche de vous intéresser aux goélands avec Les Mal-Aimés. Si vous avez aimé, n’hésitez pas à laisser un commentaire, et partager autour de vous ! 


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Merci !


Hélène Ducrocq pour Les Mal-Aimés


RETRANSCRIPTION DE LA VIDEO



Bonjour et bienvenue sur le podcast des Mal-Aimés !

Je suis Hélène Ducrocq, la créatrice de cet univers que j’ai imaginé pour parler de biodiversité aux enfants.

Il y a des films, des livres, un magazine, des jeux, des activités sur le site lesmalaimes.fr 

Aujourd’hui, nous allons parler des goélands, avec Hélène Mazière, biologiste marine en Bretagne.



croquis : Hélène Ducrocq





HD (Hélène Ducrocq) : 

Peut-être qu’on peut préciser : est-ce que c’est pareil une mouette et un goéland ? 


HM (Hélène Mazière) : 

Ce n’est pas pareil. Ils font tous les deux partie de la même famille. Ce sont tous les deux des oiseaux marins. Et plus précisément : ils font partie de la famille des laridés. 

Il faut savoir qu’il n’y a pas “un” goéland ni “une” mouette. Il y a des dizaines d’espèces de goélands et de mouettes. 

Je suis basée en Bretagne. J’étudie les goélands de Bretagne et plus précisément les goélands nicheurs. On a trois espèces en Bretagne : 

- le goéland argenté, qu’on observe en ville qui a le dos très clair

- le goéland marin, qui est le plus gros des goélands qui a le dos très noir

- le goéland brun, qui n’est pas brun du tout, qui est gris foncé avec les pattes jaunes

Ce sont les trois espèces qu’on trouve le plus en Bretagne. 

Pour ceux qui vivent du côté de la Méditerranée, ils vont avoir le goéland leucophée, qui est comme le goéland argenté : gris clair avec les pattes jaunes. Alors que le goéland argenté a les pattes un peu roses. 



HD : Tu m’as dit que le goéland méritait bien un film chez Les Mal-Aimés. De quelle espèce parle-t-on plus précisément ?




HM : Aujourd’hui, on va parler du goéland argenté. Il a une mauvaise réputation parce qu’on le trouve beaucoup en ville. Il y a des habitants qui se plaignent de nuisances quand ils nichent sur les toits. Ça peut faire du bruit, ça fait des déjections. Il y a même des communes qui ont lancé des programmes de stérilisation des œufs pour essayer de résoudre ce problème. Mais d’un point de vue scientifique et écologique, ça ne résout pas tellement le problème : ça le déplace.

Les goélands qui vont avoir leurs nids stérilisés, l’année d’après, ils vont aller dans la ville d’à côté ! Ils vont juste se déplacer. Ils ne vont pas arrêter d’aller en ville, parce qu’en ville ils trouvent de la chaleur, de la nourriture. Il y a moins de prédateurs sur les toits donc c’est un milieu idéal pour eux. Et ce sont des conditions qu’ils ne retrouvent plus dans leur milieu naturel. Donc ils sont mal-aimés, ils sont considérés comme des nuisibles alors qu’une chose importante à savoir : ce sont des espèces protégées ! Comme tous les oiseaux marins. Et le goéland argenté, celui qui pose problème, c’est une espèce en grand déclin. Ses effectifs ont diminué depuis plusieurs années.




Ils subissent des pressions de dingue dans leur milieu naturel : 

- surexploitation des ressources 

- surpêche 

- le réchauffement climatique qui les impacte

- l’urbanisation du littoral

- les rats

- les activités humaines. 



Avec tout ça, ils perdent de plus en plus leurs habitats naturels. Donc quand ils perdent leurs habitats naturels ils sont obligés de se reproduire ailleurs, donc, en ville. 

Il y a des prédateurs qui ont été introduits dans leurs milieux naturels, comme les rats, qui vont aller manger leurs œufs. Donc forcément, ils vont avoir très peu de succès dans leur reproduction dans les îlots à cause de ces rats. 



Il y a le dérangement qui va avec toutes les activités humaines, les activités touristiques. Que ce soit en ville ou dans leur milieu naturel, ça va impacter leur succès de reproduction. Tout ça fait qu’on perd de plus en plus d’effectifs de cette espèce-là. Et c’est valable aussi pour le goéland brun. On se rend compte que leurs effectifs se cassent vraiment la figure et c’est d’autant plus dangereux, une espèce qui est protégée et en déclin. En plus, on va rajouter de la stérilisation là-dessus, qui n’est pas toujours fait dans les règles de l’art : il n’y a pas de suivi associé avant ou après. On ne connaît pas l’impact de la stérilisation sur cette population-là. 


HD : Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour améliorer cette cohabitation ?

HM : Ce qui fait le malheur de ces animaux, c’est qu’au niveau de leur comportement alimentaire, ils sont très opportunistes. Et donc c’est pour ça qu’ils ne vont pas avoir peur de chopper les frites directement dans la main des gens. 


Ils vont se rapprocher des humains donc ils se nourrissent de tout ce qu’ils trouvent. Donc quand les gens sont en vacances, qu’ils viennent d’endroit où il n’y a pas forcément de goélands, ils voient des goélands ils sont contents et ils vont les nourrir. Du coup, ça les habitue à associer les humains à la nourriture donc ça encourage ce phénomène d’exode rural où les goélands quittent leur milieu naturel pour aller en ville. 

Donc : ne pas nourrir les goélands. C’est déjà un bon comportement à avoir, même si c’est tentant : ils sont mignons et tout ça, mais ça les encourage à venir en ville. 


Et pour limiter ce phénomène d’exode rural, il faut faire des actions qui limitent les menaces qu’ils subissent dans leurs milieux naturels. 

C’est-à-dire : ne pas soutenir des projets qui urbanisent le littoral.

On peut soutenir des actions de limitation des prédateurs comme les rats avec de la dératisation. 

Ou tout simplement faire attention quand on a un bateau et qu’on se rend sur une île de bien faire attention à ne pas emmener de rat avec nous ! 

Et tout simplement de ne pas déranger les oiseaux. Ne pas faire s’envoler les oiseaux pour le plaisir. À chaque fois qu’un oiseau s’envole, surtout en période de reproduction, c’est une dépense énergétique pour lui. Il va interrompre une activité vitale comme se nourrir, ou nicher, nourrir ses petits pour fuir un danger.  


Et derrière l’oiseau qui s’est envolé, il n’est pas à son nid en train de s’occuper de ses petits. Et donc c’est potentiellement des poussins ou des œufs qui vont être prédatés, ou qui vont mourir à cause du soleil. Si on peut éviter de déranger les oiseaux marins dans leur milieu naturel quand on est en vacances sur une île ou au bord de la mer, c’est déjà bien. Parce qu’un nid où les poussins vont réussir à grandir, c’est des oiseaux qui vont revenir l’année d’après, au lieu d’aller chercher d’autres sites en ville. 

Limiter le dérangement, donc. 

Si un oiseau s’est envolé à votre approche, c’est qu’il a été dérangé et potentiellement, c’est un nid qui va être impacté, les poussins vont peut-être mourir parce que l’oiseau s’est envolé de son nid. 


Tenir ses chiens en laisse.

Bon, ça n’est pas vraiment gênant pour les goélands parce qu’ils ne nichent pas sur les plages, mais j’en profite pour faire passer un message général sur tous les oiseaux marins. Il y a des oiseaux qui nichent directement sur les plages et donc tenir son chien en laisse sur la plage, ça peut limiter l’impact qu’on a sur ces oiseaux pendant leur période de reproduction. 

Au rythme où vont les choses, les goélands argentés, on risque de ne plus en voir beaucoup. Pour l’instant on a l’impression qu’on en voit partout, que ça pullule, alors que pas du tout ! Ils sont en déclin. Ils sont classés « vulnérables » par l’UICN* et à la prochaine actualisation des statuts, il est plus que probable qu’ils se retrouvent au degré supérieur c’est-à-dire « en danger ».

*Union Internationale de conservation de la nature.


HD : C’est vrai qu’on a l’impression qu’il y en a plein, mais c’est parce qu’ils ont été dérangés de là où ils étaient en fait ? 

image : Rachel Strong



HM : Oui c’est ça. Ce que j’appelle « l’exode rural » c’est juste le symptôme des menaces qui pèsent sur eux dans leur milieu naturel. Forcément, si on urbanise le littoral à fond, si les îlots sont infestés de prédateurs invasifs, ils sont dérangés, donc ils sont forcés d’aller ailleurs. 

Quoi de mieux qu’un bon toit, bien plat en ville, bien chauffé, avec les poubelles à disposition ? On ne peut pas leur en vouloir, c’est une réaction normale. Mais ça n’est pas irréversible. Mais c’est sûr que la stérilisation ne résoudra pas le problème à sa source. Il faut leur rendre leur milieu naturel pour limiter ces déplacements. 



HD : Hé oui, le gros problème, c’est nos déchets ! 



HM : Oui, c’est ça. Mais d’ailleurs, on pense aussi que la forte réduction des effectifs est liée à la fermeture des décharges à ciel ouvert. C’était une ressource de nourriture importante pour eux dans les années soixante-dix. À la fermeture de ces décharges, ils se sont retrouvés sans rien parce qu’en mer, ils suivent les chalutiers pour pouvoir avoir du poisson, mais du poisson en milieu naturel, ça devient de plus en plus rare aussi. À cause de la surexploitation de ces ressources par les Hommes. 



HM : On fait aussi des programmes de bagages. Et ça, c’est quelque chose auquel tout le monde peut participer ! Si vous voyez un goéland avec une bague colorée à la patte, c’est nous qui l’avons posée. C’est un numéro qui est unique : chaque oiseau a en quelque sorte sa carte d’identité. Donc dès qu’on revoit un oiseau avec ce numéro là, qu’on arrive à lire le numéro sur la bague aux jumelles, par exemple, on le rentre dans une base de données qui a plus de vingt ans. Et ça nous permet de suivre l’histoire de vie de cet individu : où a-t-il été attrapé pour la première fois, où on l’a déjà aperçu ? Ça peut même être dans un pays différent ! C’est comme ça qu’on se rend compte que certaines espèces sont migratrices : on a des goélands bruns qui sont aperçus au Maroc, etc. Ça nous permet aussi de savoir la fidélité des goélands à leur site de reproduction : est-ce que le même goéland va revenir chaque année sur le même îlot ? Ou est-ce qu’à un moment donné, il va partir pour tenter sa chance sur un autre site ? 

Chacun peut participer au comptage ! 

Si vous voyez un goéland avec une petite bague à la patte, avec des jumelles vous pouvez lire le numéro et vous pouvez l’inscrire dans la base de données sur le site.

Http://www.Bretagne-vivante-dev.org/goelands

Ça nous donne des informations sur leurs déplacements. 



HD : C’est super intéressant de pouvoir participer ! Parce qu’on se demande toujours quoi faire, quand on a un état des lieux catastrophique comme ça. Et là juste en sortant nos jumelles et en renseignant les scientifiques, ça peut être notre part. 



HM : Ensuite, la sensibilisation, c’est quelque chose que chacun peut faire. 

Les goélands ne sont pas des nuisibles ! Ce n’est pas de la vermine. Ce sont des oiseaux marins qui sont patrimoniaux, surtout en bord de mer. Ils sont en danger, ils méritent d’être protégés au même titre que la baleine bleue ou les albatros. 



HD : Ou le panda



HM : Bon, il n’est pas dans une situation aussi critique…


HD : Mais on aime bien protéger des animaux qui sont loin, on ne se rend pas compte que la nature qui est juste à notre porte mérite tout autant notre attention ! 


HM : Les oiseaux marins en général (à part pour les férus d’oiseaux et les ornithologues amateurs), ce n’est pas une catégorie d’animaux qui sont très connus. Souvent, les gens confondent encore mouettes et goélands. 

On a la chance, en France, d’accueillir l’oiseau marin le plus menacé d’Europe : le puffin des Baléares, et personne n’en a jamais entendu parler ! Alors que c’est l’oiseau marin le plus menacé d’Europe ! Il va peut-être s’éteindre d’ici cinquante ans et personne n’a jamais entendu leur nom « Puffin des Baléares ». Alors qu’il est juste là, à nos portes ! Il vient nous rendre visite, chaque année pour sa migration et on pourrait le croiser en mer, et les gens ne se rendent pas compte à quel point c’est une espèce rarissime à l’échelle mondiale et qu’il faut respecter. 


HD : Je trouve ça génial de savoir regarder, savoir s’émerveiller comme ça. C’est ça que j’admire dans ces métiers. On parlait en off du parallèle entre le métier de réalisation de film d’animation et de biologiste, ils se rejoignent sur le fait de porter un regard sur une chose en particulier, de dire « wouaou ! tu as vu ça ? » 



HM : Oui, c’est vrai. 



HD : C’est là où ce projet Les Mal-Aimés il réunit les deux : c’est à la fois merveilleux, et à la fois c’est vrai. Ça crée des histoires et ça mérite qu’on s’y intéresse ! 



HM : Moi je suis biologiste marin de formation et j’apporte une attention particulière à la sensibilisation, la communication, la médiation scientifique. C’est rendre la science accessible au grand public et les connecter à la nature pour que chacun se sente concerné par ces problématiques-là et se les approprie pour faire passer le message. Et souvent, dans les associations de scientifiques, on passe toute notre énergie à essayer d’acquérir de la connaissance sur ces espèces pour après pouvoir mieux les comprendre et mieux les protéger. Et il n’y a pas assez d’énergie, pas assez de temps dédié à partager ce qu’on trouve, à partager nos connaissances. Donc là les projets que je supervise, c’est vraiment leur but, c’est de partager les connaissances qu’on a, les résultats de nos programmes et de nos actions pour les faire comprendre au grand public et pour que eux-mêmes, à leur tour s’implique dans la protection des espèces qui sont juste en bas de chez nous.

image : Olga Lioncat



HD : Et comment ça se concrétise ces actions ? Qu’est-ce que tu fais concrètement ? 



HM : Moi, typiquement je suis en mer tout l’été à bord de mon petit bateau. Je vais à la rencontre des plaisanciers sur leur voilier et je leur donne des informations sur les espèces d’oiseaux. Je leur indique les sites qui sont protégés. On a beaucoup de sites qui sont interdits au débarquement pour laisser les oiseaux tranquilles et les gens ne savent pas forcément que c’est interdit. Donc je leur donne ces informations-là et j’échange avec eux sur les bons comportements à avoir pour éviter le dérangement. Je fais aussi des conférences. On va faire une expo photo pour sensibiliser les gens, l’objectif est de toucher le public le plus large possible. On vise plus particulièrement les gens qui naviguent, puisque c’est eux qui sont en contact avec les oiseaux dans leur milieu naturel sur les îlots.



HD : Et est-ce que parmi cette population il y a des enfants ? 


HM : Oui, on fait des sorties nature. Dans les conférences aussi il y a des enfants. J’ai un collègue animateur qui intervient dans les écoles et c’est hyper important de sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge pour qu’ils grandissent avec cette idée-là que les oiseaux marins ce sont des espèces protégées, qu’il faut en prendre soin. 

Des enfants sensibilisés, on espère que ça deviendra des adultes responsables et impliqués ! 

Et les enfants à leur tour sensibilisent leurs parents.


HD : oui ! C’est un peu l’objectif des Mal-Aimés :) C’est un peu faire le travail à l’envers.


HM : Mine de rien, ça touche les parents ! Avant je travaillais dans un centre nautique avec des enfants et je les sensibilisais au milieu marin en général (pas qu’aux oiseaux). Et j’ai souvent des parents qui venaient me voir le lendemain parce que les enfants avaient répété toute la leçon le soir et les parents découvrent de nouvelles choses ! Sur les habitats, sur les plantes marines, sur les animaux. C’est normal, tout le monde ne sait pas faire la différence entre une baleine et un dauphin, ou un dauphin et un requin, ce genre de chose, ou une mouette et un goéland :-) 



HD : je ne sais toujours pas ! Haha ! En voyage avec Pierre Dron, le producteur des Mal-Aimés, j’ai dessiné des oiseaux marins. Est-ce que d’après ces dessins tu saurais dire si ce sont des mouettes ou des goélands ? 

croquis : Hélène Ducrocq

HM : Ce que tu as dessiné là, ce sont plutôt des goélands :-)

Tu avais raison de dire que c’est quand même très très similaire, parce que « laridés », ça comprend les mouettes et les goélands. Ils sont très très proches. Mais de façon générale les goélands ont un gros bec avec un point rouge dessus. (Il y a quelques exceptions). En bord de mer français, c’est ce qu’on va trouver. 

Pour les mouettes, on va surtout parler de la mouette rieuse : elles vont avoir une calotte noire sur la tête une certaine saison et le reste de l’année un point noir à côté de l’oreille. 

Le point rouge sur le bec, c’est vraiment typique des goélands. C’est un bon indicateur. 

On peut noter aussi la couleur des pattes, mais il y a tellement d’exceptions, je ne peux pas dire que les goélands ont telle patte de telle couleur et les mouettes telle autre couleur. Ça dépend vraiment des espèces, mais bon. 

HD : Est-ce qu’on est autorisé à dire, quand on voit un oiseau marin et qu’on n’y connaît rien : c’est une mouette. 


HM : hmmm. Si vous voulez paraître savant, dites plutôt « laridé ». Ça, c’est scientifiquement vrai : mouette ou goéland ? C’est un laridé ! 

C’est vrai qu’ils sont proches. Mais il y a des centaines d’espèces de mouette et de goélands. Même moi je ne connais pas toutes les mouettes et les goélands du monde. 


HD : Pour la présentation, j’aurais bien dit « on va s’intéresser aux mouettes et aux goélands »…

HM : Alors les « mal-aimés », ce sont les goélands qu’on trouve en ville.


HD : Ha d’accord, c’est quand même important de faire la différence entre les mouettes et les goélands.

HM : Les mouettes ne vont pas venir en ville, c’est plus les goélands et plus précisément le goéland argenté. 

Le goéland marin, on ne le trouve pas forcément en ville.


HD : La mouette, elle, n’a pas de mal à se reproduire ? 

HM : moi, je ne suis pas ces populations-là à titre personnel puisque je n’ai pas de colonie de mouettes sur les îlots que je suis, donc je ne pourrai pas répondre à cette question. Peut-être mes collègues qui suivent ces espèces-là. 

Moi, je suis vraiment sur les espèces qui se reproduisent en mer, sur les îlots. Alors que la mouette rieuse ne va pas se reproduire sur ces habitats. 

HD : D’accord. Parce qu’à Valence, pendant le confinement, je voyais voler ces oiseaux, si libres, et j’avais l’impression qu’elles se moquaient de moi ! Elles ont ce petit rire : hin hin hin ! 

HM : Alors, ce que tu viens de décrire, c’est typiquement un cri de goéland. 

HD : D’accord, alors à Valence, il y a le Rhône, pas la mer. Mais on a quand même des goélands ? 


HM : Oui. Ils remontent les fleuves. C’est un comportement qu’on observe. Ils remontent les fleuves à partir de la mer pour chercher de la nourriture et évidemment au bord des fleuves on a souvent de grandes villes où ils trouvent le gîte et le couvert. 


HD : Ha ! Donc c’est bien le Rhône qui les a amenés parce que j’avais un ami qui disait que c’étaient les décharges qui les intéressent. 


HM : Aussi, oui. Ça se rejoint : ils cherchent de la nourriture, donc les décharges et les grandes villes, c’est le paradis pour eux. Les poubelles, c’est sûr que comme ils sont opportunistes, ils ne vont pas rater cette occasion. 


HD : En tout cas, pour moi ça me fait toujours voyager de les entendre et de les voir. J’ai l’impression d’être en bord de mer. 

Ils font quand même pas mal de route, parce que Valence - Marseille, c’est 300 km.


HM : Il ne faut pas s’inquiéter pour eux, je parlais du goéland brun, qui est migrateur. Un goéland brun est capable de parcourir une centaine de kilomètres en une journée et depuis le littoral français il peut aller jusqu’au Maroc. Ça peut être de grands voyageurs. 


HD : Pourquoi c’est important de préserver ces goélands ? Si tu avais un message à faire passer aux enfants ?


HM : Ce sont des espèces qui sont sentinelles du milieu marin. On ne peut pas juste laisser les espèces s’éteindre, il faut essayer de conserver la biodiversité qu’on trouve sur les îlots pour garder cet équilibre. On se rend bien compte que dès qu’il y a une espèce qui diminue, l’équilibre de l’écosystème change et ça peut potentiellement impacter toute la chaîne. 


HD : Qu’est-ce qui se passera s’il n’y a plus de goélands ? 



HM : Il ne faut pas réfléchir en termes de service écosystémique pour savoir ce que telle ou telle espèce nous apporte. Qu’est-ce qu’elle apporte au monde, et du coup quelle est sa valeur ? Mais l’écologie, ça n’est pas qu’apporter une valeur à une espèce en fonction des services qu’elle nous rend. C’est important, bien sûr, et du coup s’il y a certaines espèces sentinelles ou des espèces qui apportent un grand nombre de services qui disparaissent, là, on aura de gros soucis, comme les abeilles par exemple. Après les goélands, est-ce qu’ils rendent des services incroyables à l’humanité ? Ce n’est pas sûr, mais ça n’est pas pour autant qu’il ne faut pas les protéger ! 

HD : Avec leurs fientes, j’imagine qu’ils doivent répandre des graines ? 

HM : Si ça fertilise ? Des graines, pas forcément parce qu’ils ne mangent pas de fruits…


HD : Alors si ! Je peux dire qu’ils mangent du fruit parce que pendant notre précédent voyage on a eu une autre aventure avec un goéland : il est venu pendant notre petit déjeuner se servir sur la table. Il a pris une peau de kiwi, alors, si, il mange du fruit, haha ! 

croquis : Hélène Ducrocq (avec Pierre Dron)


HM : haha oui, il mange tout c’est vrai. Mais après, les fientes ça peut dans une certaine mesure fertiliser, mais je n’ai pas de données chiffrer donc je ne m’avance pas là-dessus ; 


HD : Merci beaucoup d’avoir apporté tous ces éclairages sur cet animal mal-aimé. Maintenant, on sait ! C’est un animal vulnérable auquel il faut prêter attention, mais pas forcément en interagissant avec lui. Parce que ça n’est pas parce qu’il est mal-aimé et en voie de disparition qu’il faut forcément s’en occuper. Il ne faut pas par exemple lui donner à manger ou le cocooner…



HM : Le mieux c’est de favoriser sa reproduction dans son milieu naturel donc, pour ça, vous pouvez soutenir des associations qui font ce travail-là. Parce que c’est souvent difficile de trouver de la main-d’œuvre ou des financements pour gérer ces programmes de recherches et ces programmes d’action là. Et puis éviter le dérangement. En période de reproduction d’avril à juin. 




HD : Toi, à titre personnel, j’ai vu que tu avais un site internet avec de la bande dessinée sur le milieu marin. 

HM : je fais du dessin depuis longtemps et j’ai toujours fait des BD, mais je ne les avais jamais mises en forme. Et pendant le confinement, le premier, j’étais au chômage, je n’avais que ça à faire et je me suis dit que j’allais lancer mon site. C’est un recueil d’expérience que j’ai pu acquérir en tant que biologiste marin. J’ai eu la chance de travailler sur énormément de taxons différents. J’ai travaillé sur les coraux, sur les cétacés sur les requins, sur les herbiers dans le Sud et maintenant sur les oiseaux marins. Et maintenant, toutes ces petites graines de connaissances que j’ai acquises j’aimerais les partager avec le grand public. Et là, maintenant que je suis de nouveau en travail à plein temps j’ai moins de temps à consacrer à ce projet-là, mais j’ai tellement d’idées, il y a tellement de sujets qui sont intéressants ! Ma BD qui a le mieux marché, c’est celle sur les herbiers de Posidonie. C’est un écosystème encore mal connu. Les gens voient des feuilles vertes sur la plage, ils disent que c’est des algues et qu’on devrait les enlever, que ce n’est pas beau sur la plage alors que c’est la vie même en fait ! Ce ne sont pas des algues déjà, ce sont des plantes ! Et puis c’est un écosystème pour tellement d’animaux, et ça nous rend service à nous aussi. Ça stocke le carbone. En tout cas, cette BD-là a très bien marché, ce sont des sujets inconnus et qui pourtant parlent à tout le monde, puisque tout le monde a déjà vu des herbes de Posidonie sur la plage. Et je pense que si j’ai le temps, j’aimerais en faire une sur les goélands et sur les Puffins des Baléares. 


Le puffin des Baléares a bien besoin d’un coup de pub, parce qu’il n’est pas mal aimé, mais juste personne ne le connaît ! Il a besoin qu’on lui prête attention, qu’on sache le reconnaître et qu’on le préserve. Parce que peut-être que d’ici cinquante ans, il n’y en aura plus !


HD : Comment s’appelle ton site ? 


HM : Mon site est anglophone pour l’instant. C’est thebluebiologist.com 

Et j’ai pour projet de tout traduire en français. 


HD : Pourquoi écris tu en anglais ? 


HM : Pour toucher une communauté internationale. Parce qu’au moment où j’ai créé le projet j’étais en Angleterre, chez mon conjoint. J’ai habité pas mal de temps en Angleterre. C’est un réflexe pour moi d’écrire en anglais pour toucher le plus de monde possible. Mais toutes les communautés de scientifiques et de biologistes que je suis, toutes les associations et la plupart de mes collègues sont internationaux. Donc pour me faire connaître c’était important. Et d’ailleurs ça a bien marché puisqu’il y a plein d’associations américaines, australiennes qui m’ont contactée pour rediffuser ces BD-là dans leur réseau. Et c’était le but. 

Mais il faudrait vraiment que je me mette à la traduction française !


HD : Est-ce que la problématique des goélands se retrouve dans d’autres pays ? Est-ce qu’il y a des villes qui arrivent à vivre avec les goélands ? 



HM : Oui, c’est une problématique qu’on retrouve en Angleterre. Dans la ville où j’étais, Plymouth une ville portuaire. Il y a des affiches partout « don’t feed the seaguls » « ne nourrissez pas les goélands ». Ils ont les mêmes problématiques. Au niveau de la stérilisation, je ne sais pas trop, mais je pense qu’ils le font aussi. C’est une problématique qui est généralisée. Et oui, ils sont dans le même état que nous : ils n’ont pas fait la paix avec les goélands. Et il y a des associations de leur côté qui travaillent pour faire le même suivi que nous. 


HD : N’y a-t-il pas des villes qui arrivent à vivre avec les goélands ? De la même manière que les bergers italiens parviennent à vivre avec les loups ? 



HM : Il y a des villes de bord de mer qui ont des goélands urbains, mais qui ne pratiquent pas la stérilisation pour autant. On peut avoir des complaintes des habitants, mais quand on habite au bord de mer on peut aussi apprendre à vivre avec les goélands ! C’est comme d’habiter à la campagne, on apprend à vivre avec l’odeur des épandages dans les champs. Ça fait partie du paysage aussi. 


HD : Tu proposais de soutenir des associations, la tienne c’est « Bretagne vivante », c’est ça ? 


HM : Oui, ça fait un peu plus d’un an que je travaille pour Bretagne vivante. C’est une association de protection de la nature qui travaille sur énormément de sujets différents. Avec mon équipe nous sommes spécialisés sur les oiseaux marins dans le Morbihan, mais on a plus de soixante-dix salariés dans l’association. Et on est présents dans tous les départements de la Bretagne historique. Y compris en Loire-Atlantique. J’ai des collègues qui travaillent sur les insectes sur les lignicoles, sur les reptiles, etc. on est vraiment diversifiés dans cette association. On est présents en Bretagne depuis plus de soixante ans donc on est vraiment les acteurs principaux de la protection de l’environnement en Bretagne. C’est pour ça qu’on a des bases de données qui commencent à être intéressante parce qu’on fait des suivis parfois depuis plus de trente ans et c’est comme ça qu’on peut vraiment savoir quel est l’état des populations des goélands, de sternes, de toutes espèces confondues. On a des bases de données très robustes parce qu’on était là il y a soixante ans. 

image : jasmin chew


HD : Et pour soutenir cette association, on va sur le site Bretagne-vivante.org 


HM : N’hésitez pas à devenir adhérent. Il y a des salariés et aussi des bénévoles qui peuvent nous aider à hauteur de leurs capacités à hauteur de leur motivation. On a des gens qui peuvent venir avec nous pour participer aux actions de sensibilisation par exemple. Donc je peux emmener des bénévoles en mer pour aider à sensibiliser les naviguants. 

Si des personnes ont des compétences particulières, par exemple de la photographie, ou si quelqu’un est botaniste expérimenté ou ornithologue amateur, on va toujours réussir à valoriser ces compétences-là dans des actions bénévoles. 

On peut aussi faire des chantiers pour limiter les espèces invasives de plantes. On a des chantiers Baccharis (une plante invasive), on a des chantiers de débroussaillage, etc.

Si les gens veulent sortir et participer à la protection de la nature, quelles que soient les espèces qui les intéressent, il y a toujours de quoi faire dans une association comme Bretagne Vivante !


HD : Génial ! C’est super intéressant, j’ai envie de tout faire ! Je vais venir faire du désherbage et compter les oiseaux. Ça me plairait beaucoup. 

HM : Avec plaisir ! 


HD : En tout cas, j’espère que ça donnera aussi envie aux familles, aux spectateurs bien-aimés d’agir pour la biodiversité ! 

HM : Oui, d’ailleurs tu parlais des chauves-souris et dans notre équipe il y a un chiroptérologue qui s’occupe de suivre les populations des chauves-souris à l’échelle du département et c’est pareil, c’est des animaux peu connus et il est souvent à la recherche de gens pour donner un coup de main, pour apprendre, s’intéresser aux chauves-souris et faire passer le message de la sensibilisation. 

On va travailler avec d’autres associations, par exemple l’association des îles du Ponant, on va travailler avec eux dans le cadre des actions de dératisation sur les îlots parce qu’eux ils ont une compétence dans ce domaine qu’on n’a pas, et du coup on se répartit le travail. Il y a une vraie synergie dans ce milieu-là pour faire avancer les choses et mener des projets de grande envergure, c’est sympa.


HD : ça fait plusieurs fois que tu parles de dératisation : le rat c’est un mal-aimé vraiment mal-aimé celui-là ! 


HM : Alors lui, pour le coup, contrairement aux goélands, aux chauves-souris ou toutes les autres espèces qu’on a pu nommer, le rat n’est pas une espèce endémique des îlots sur lesquels je travaille. Il a été apporté par les bateaux, clandestinement. Il y a même des îlots où il est arrivé en nageant depuis les villes ! Scientifiquement, c’est ce qu’on appelle une espèce invasive, qui n’a rien à faire dans un écosystème et qui va en perturber l’équilibre. Il a peu de prédateurs, les goélands adultes peuvent manger les rats, mais l’impact du rat va être supérieur à la prédation que peuvent avoir les goélands marins sur les rats parce qu’ils vont manger les œufs et les poussins en période de reproduction. 

Une colonie de rats, ça peut vraiment foutre en l’air le succès reproducteur d’une colonie. Surtout sur des espèces de goélands argentés. On a des espèces comme l’océanique tempête ou le Puffin des Anglais qui vont se reproduire dans des terriers, ils ne reviennent à terre que pour se reproduire. Et là les rats vont avoir un très fort impact en mangeant les œufs, sachant que l’océanique ne pond qu’un seul œuf, ça va être compliqué pour eux ! Ils ont un impact sur tout l’écosystème. 

Ils vont manger des reptiles, des escargots, par contre, là, c’est avéré, on a des études sur d’autres îles : l’île d’hoedic, l’île de Molène, ou même dans d’autres archipels sud antarctique par exemple, on voit vraiment qu’en éliminant la menace « rat », tout l’écosystème revit, refleurit. Il y a des oiseaux qui reviennent nicher alors qu’ils avaient été absents du site pendant des années. Évidemment les populations d’invertébrés se remettent également, et du coup ça fait de la nourriture : toute la chaîne alimentaire se recréé. 

Ce n’est pas de leur faute, les rats s’ils sont invasifs, mais c’est vraiment une menace qui est impactante à tout niveau, sur toutes les espèces endémiques. Et du coup on essaie de limiter les dégâts.


HD : Un peu comme les humains, en fait ! Les humains aussi sont une espèce invasive pour la biodiversité.


HM : Haha ! Oui, carrément.


HD : La morale, c’est juste de laisser la nature tranquille et elle revient d’elle-même ? 


HM : C’est ça. Mais il y a des scientifiques qui considèrent que la « mise sous cloche » (on protège un habitat et on n’y touche pas) c’est la meilleure solution. Mais dans le cas où un écosystème est déjà perturbé par un élément extérieur, on ne peut pas juste laisser faire et il faut agir. C’est le cas de la dératisation. Et ça, ça rentre dans le cadre des actions de gestion des écosystèmes. On ne peut pas nier qu’on a déjà eu un impact sur les écosystèmes. On essaie de réparer les impacts qu’on a eus. On ne peut pas dire « maintenant, on met sous cloche et puis ce qui arrive, arrive ». Alors que l’écosystème il a déjà été perturbé. Il y a déjà de la pollution du milieu, il y a déjà des arbres qui ont été coupés ou replantés, des espèces qui ont été introduites par l’homme, donc il faut quand même avoir un regard sur l’équilibre de l’écosystème. On ne peut pas juste laisser faire. Si on laisse faire, les Bacchariss vont prendre le dessus, les rats vont manger tous les œufs. On est obligés d’intervenir. 

HD : En tout cas, merci beaucoup, Hélène, de toute cette richesse, cette passion que tu as transmise c’est vraiment super intéressant d’avoir découvert tout ça avec toi.


HM : Merci à toi d’offrir cette plateforme pour parler de ces sujets-là. C’était très intéressant.


HD : Je te remercie d’avoir donné toutes ces informations et surtout d’avoir donné envie d’agir ! Parce que c’est vrai que quand on s’intéresse à la biodiversité et aux animaux on a l’impression que c’est déjà bien de savoir que ça ne va pas et qu’ils sont mal-aimés et qu’il faut prêter attention à eux, mais c’est aussi intéressant de savoir quoi faire pour agir. Et toi tu nous donnes envie d’agir et ça, je te remercie beaucoup ! 

Qu’est-ce que tu préconiserais, là, maintenant, pour agir concrètement sur la biodiversité ? 


HM : Il y a vraiment des gestes tout simples. Moi, par exemple, ça me met hors de moi quand je vois quelqu’un jeter un mégot par la fenêtre de la voiture, ou en ville. C’est vraiment tout bête de ne pas polluer le milieu ! 

Parce que si on arrêtait de jeter ses mégots par terre ou ses papiers d’emballage, ce sont autant d’oiseaux ou d’animaux marins qui n’avaleront pas ça. Chaque déchet jeté, potentiellement c’est un oiseau ou un animal qui va l’avaler ! Et qui va en être impacté.

J’ai toujours des petits cendriers portatifs dans mon sac, dès que je vois quelqu’un jeter un mégot je vais vers lui : « Monsieur, j’ai remarqué que vous n’avez pas de cendrier portatif, est-ce que vous en voulez un ? ». J’essaie de ne pas aller dans la confrontation. Rien que ça, ça peut avoir un impact de dingue ! Imagine, si il n’y avait plus de mégot jeté par terre, surtout dans les villes où il y a du vent, ça arrive directement à la mer et ça peut avoir un impact monstrueux derrière. 



HD : Un simple mégot de cigarette, ça pollue 500 litres d’eau ! 


HM : Oui. Et ça finit dans le ventre d’une tortue, d’un oiseau. Ça a des toxines. Que ça soit des mégots ou des microplastiques, ça impacte le système immunitaire, ça va diminuer la fertilité, donc ça rajoute à toutes les menaces qu’on vient d’énumérer. Si un oiseau a un système immunitaire plus faible, il va avoir plus de parasites, plus de maladies, et il va moins bien se reproduire. Ça peut faire une différence entre une colonie qui s’étend et une colonie qui meurt. 


HD : Tu offres des cendriers aux fumeurs ? 


HM : Oui, j’étais tellement frustrée et énervée quand j’habitais à Marseille de voir que c’était vraiment la pratique courante de jeter son mégot partout, que ce soit sur la plage ou en ville. Et ce n’est pas la bonne méthode d’aller à la confrontation : « Madame vous ramassez votre mégot, vous ne vous rendez pas compte ?! » les gens ne supportent pas. Ils se bloquent, ils se braquent et ça peut vite partir en cacahuète. Donc une technique que j’ai trouvé, surtout dans les offices de tourisme ou dans les associations, on trouve des cendriers portables, des petites boîtes en aluminium pour quelques centimes. Donc moi j’en ai acheté une trentaine à l’office de tourisme et j’en garde toujours quelques-uns dans mon sac, comme ça dès que je vois quelqu’un jeter son mégot devant moi, je reste polie, avec un sourire et je leur dit : « Je constate que vous n’avez pas de cendrier portatif, est-ce que ça. vous intéresse, c’est tout simple. » Et les gens sont plutôt contents de recevoir un cadeau, et ils le prennent vachement bien. Et dans 100 % des cas, les gens ramassent leur mégot. Je n’ai jamais eu de problème. Alors que si on va en mode jugement ou confrontation ça ne se passe pas bien. Il vaut mieux arriver avec un petit cadeau et comme ça on apporte tout de suite la solution. Et j’espère que les gens à qui j’ai donné ces petits cendriers l’ont gardé et l’utilisent encore. 


HD : Ha ! Génial ! Bravo, je trouve ça trop bien. Nous, on a un chien alors j’ai toujours des sacs à crotte avec lesquels je ramasse les mégots qui traînent en bord de Rhône, ou les masques, ou les plastiques. À chaque fois, je me dis « ça, c’est un truc qu’une tortue ne mangera pas ou qu’un poisson n’avalera pas de travers ». Mais j’ai toujours la sensation que c’est vain. Je pense que je vais adopter ce truc du cendrier portatif, on devrait en faire imprimer à l’effigie des Mal-Aimés. 


HM : Surtout, quand j’ai travaillé aux Maldives, j’ai vraiment vu l’impact des déchets et de la pollution plastique. Je me la suis prise de plein fouet. On avait un centre d’accueil des tortues marines et on recevait tous les mois des tortues qui avaient le « floating syndrom » : elles avalent des sachets plastiques, et ça reste dans leur estomac en formant une bulle. Et du coup elles flottent à la surface, sans pouvoir descendre pour s’alimenter. C’est une mort horrible. Elles meurent d’épuisement d’essayer de descendre, elles meurent de faim, c’est horrible à voir. Ça, j’ai été sensibilisée en étant au front. C’est une thématique à laquelle je fais très attention. J’essaie vraiment de faire passer le message.


Mais ça commence à passer. Les gens sont quand même sensibilisés depuis quelques années. On voit même dans les grandes surfaces, ça commence un petit peu à changer. Mais c’est un peu lent quand même tout ça. 


HD : Moi, ce que je redoute d’ici quelques années ce sont tous ces masques qui traînent dans tous les sens ! Ça va se retrouver au fond des océans. C’est déjà le cas, malheureusement. 


HM : On en voit partout. Je n’ai pas de solution, juste, faire attention. J’ai entendu des gens qui lavaient leurs masques jetables, alors que quand ce sont des fibres synthétiques, et que ça passe dans la machine à laver (et comme tous les vêtements synthétiques d’ailleurs) ça fait des microplastiques et ça va directement dans les océans. Toutes les fibres vestimentaires, ce sont des microplastiques qui vont polluer le milieu marin. 


HD : Encore une information supplémentaire, mais ça fait beaucoup trop, haha ! 


HM : Oui, je crois que là, nous sommes sorties du sujet des goélands, mais en fait il y a tellement de thématiques qui valent la peine d’être étudiées, d’être partagées ! Les plastiques, ça en fait partie, les microplastiques sont partout ! On s’achète un petit T-shirt à Promod en polyester, c’est du microplastique ! À chaque passage dans la machine à laver, ça va impacter le milieu. 

Après je comprends que tout le monde ne peut pas se permettre de s’acheter des vêtements 100 % coton ou 100 % laine mérinos dans sa garde-robe, mais il faut garder ça en tête. 


HD : C’est aussi super intéressant, mais je pense qu’avec toi, il y a de quoi faire une émission complète sur l’écologie et sur la biologie donc si tu veux revenir pour parler de tout ça sur Les Mal-Aimés, il n’y a pas de problème. 

HM : ça sera avec grand plaisir ! Dans ma carrière, j’ai vraiment eu de la chance ! J’ai eu des postes assez courts entre six mois et un an, mais j’ai eu l’occasion de travailler sur tellement de thématiques différentes, dans beaucoup de pays différents, sur des espèces variées que je ne suis pas « experte » dans un milieu donné, mais j’ai une connaissance assez large de pas mal de thématiques. 

HD :  Tu disais que tu avais travaillé aux Maldives ? Ça fait rêver ! 


HM : oui, j’ai travaillé aux Maldives. C’était sur le suivi des requins-baleines, de leurs migrations, de leurs déplacements. Je faisais aussi beaucoup de sensibilisation, parce que c’est très touristique là-bas. 

En Indonésie, je travaillais sur les coraux, la restauration des récifs coralliens alors ça je pourrais t’en parler des heures aussi ! 

À Marseille j’étudiais les populations de cétacés, de Grands Dauphins notamment. Ils subissent hélas, beaucoup de pression. 

HD : Ha lala ! C’est passionnant ! Effectivement j’aimerais beaucoup pouvoir reparler avec toi de ces différents sujets.


HM : il n’y a aucun souci !


HD : Merci beaucoup ! 


HM : Merci à toi ! 


Crédits de la vidéo :

Track : A Dog life www.fiftysounds.com

Croquis Hélène Ducrocq

images additionnelles Pexels

Roman Odintsov

Olga Lioncat

Jasmin Chew

Taryn Elliott

Arthouse Studio


Site de Hélène Mazière : TheBlueBiologist.com